La plupart des antibiotiques doivent pénétrer leurs bactéries cibles. Mais Darobactin, un composé nouvellement découvert, est beaucoup trop gros pour le faire. Néanmoins, il tue de nombreux agents pathogènes résistants aux antibiotiques – en exploitant un minuscule point faible à leur surface.
Des chercheurs du Biozentrum de l’Université de Bâle ont révélé l’étonnant mécanisme en jeu et ont ainsi ouvert la porte au développement de médicaments complètement nouveaux.
De plus en plus de bactéries pathogènes sont résistantes aux antibiotiques. Et les agents pathogènes les plus dangereux partagent une caractéristique commune : une double membrane difficile à pénétrer. Même lorsque les agents antibiotiques sont capables de pénétrer dans cette coquille, les bactéries les pompent à nouveau.
Mais un composé récemment découvert appelé Darobactin parvient à contourner ces mesures de protection et à tuer presque tous les agents pathogènes problématiques. Les chercheurs ont maintenant pu élucider le mécanisme d’action dans un projet financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) dans le cadre du programme national de recherche « Résistance aux antimicrobiens » (PNR 72).
Comme une clé cassée
Dans une étude publiée dans Nature, les chercheurs décrivent comment une manœuvre trompeuse permet à Darobactin de fonctionner : sa forme imite une structure tridimensionnelle spéciale que l’on ne trouve normalement que dans les protéines produites par les bactéries comme éléments constitutifs de leur membrane externe. La structure est la « clé » pour insérer les protéines dans l’enveloppe externe à des emplacements spécifiques. Darobactin est une copie de cette clé. Cependant, il n’agit pas pour pénétrer les bactéries, mais bloque simplement le trou de la serrure de l’extérieur – comme verrouiller une porte puis casser la clé. En conséquence, la voie de transport des composants de la coquille de la bactérie est obstruée et elle meurt.
Difficile à détecter par des moyens conventionnels
Des mécanismes similaires sont déjà connus en microbiologie et sont utilisés par d’autres médicaments. Les structures de liaison ciblées, ou trous de serrure, sont généralement assez grandes, du moins en termes microbiologiques. En revanche, la cible inhibée par Darobactin est très petite et ne peut pas être détectée par les méthodes conventionnelles. Dans le même temps, Darobactin est plus gros que la plupart des médicaments et ne peut pas passer par les ports d’entrée de la bactérie.
«Au début, cela nous a intrigués», déclarent Sebastian Hiller et Timm Maier du Biozentrum de l’Université de Bâle, les deux principaux auteurs de l’étude. Leurs équipes se sont immédiatement rendu compte que la darobactine n’agit pas à l’intérieur des agents pathogènes mais plutôt en surface. Là, il interfère avec la fonction d’une protéine connue sous le nom de BamA, qui joue un rôle central dans la construction de la double membrane protectrice. « Mais comment exactement Darobactin interagit avec BamA n’était pas du tout clair », explique Hiller. Ce n’est qu’en combinant plusieurs méthodes que les chercheurs ont finalement identifié le mécanisme d’action.
Repérer le point faible parfait
Ils ont découvert que la darobactine attaque un véritable talon d’Achille des agents pathogènes : elle se lie directement au site le plus important de BamA, les atomes dits du squelette. Étant donné que ces atomes maintiennent la protéine ensemble et déterminent sa forme, il est presque impossible de les modifier – bien que les modifier soit le moyen habituel pour les bactéries de repousser un nouvel antibiotique. En fait, Darobactin a conservé son efficacité contre tous les agents pathogènes, pour lesquels Hiller et son équipe ont effectué des tests de laboratoire qui simulent la résistance. En d’autres termes, les agents pathogènes n’ont pas réussi à changer le verrou cassé.
Développement de médicaments ciblés
Ces découvertes sont une étape décisive vers une application médicale, déclare le biologiste des infections Dirk Bumann, qui mène également des recherches à l’Université de Bâle. En tant que co-directeur du Pôle National de Compétences en Recherche PRN Anti-Résiste, il suit de près les activités de recherche sur les antibiotiques. « L’identification du mécanisme d’action de Darobactin est une réalisation majeure », dit-il, « car cela permettra une amélioration ciblée de la Darobactin et son développement en un médicament efficace ». Cela donne un coup de pouce à l’espoir longtemps chéri de trouver une nouvelle génération d’antibiotiques pour lutter contre de nombreux agents pathogènes problématiques d’aujourd’hui.
Édition originale
Hundeep Kaur, Roman P. Jakob et al.
L’antibiotique darobactine imite un brin pour inhiber l’insertase de la membrane externe
Nature (2021), doi : 10.1038/s41586-021-03455-w
La source: Université de Bâle